Vers le rétablissement…

Mains de protection – Photo-montage façon soul collage de Charlet Denner, 2017

L’épreuve de la maladie a progressivement donné une place nouvelle et essentielle à la peinture et à la méditation dansée dans un nouveau processus thérapeutique. Témoigner aujourd’hui de ce processus de création et de guérison en marche s’est inscrit dans ma vie à travers l’exposition itinérante peindre, aimer, guérir. C’est par cette démarche que j’ai voulu partager, témoigner de mon vécu pour encourager ceux ou celles qui ont été en prise avec cette maladie. Redonner espoir quand on pense que tout est perdu parce que quelque part au fond de nous quelque chose peut se faire encore.

L’éléphant funambule – soul collage de Claudine Denner, 2017

Accompagner en intégrant l’expérience de la maladie du cancer
a renouvelé ma pratique thérapeutique.

Et mon inscription en 2017 au DU d’accompagnement du parcours du patient en cancérologie a pris alors tout son sens. Elle a été initiée au début de cette année là par le coup de téléphone d’un ami suisse qui m’est cher : « Tu sais j’ai entendu une émission à France Inter et j’ai toute suite pensé à toi ».
J’ai alors rapidement retrouvé la trace de cette émission. Assise seule sur mon sofa, je me suis mise à rêver d’un avenir tout neuf.

Dès le début de la formation, mon vécu de la maladie et la présentation des plans cancer ont très vite orienté mon désir de contribuer à l’égalité de la prise en charge des patients quant aux soins de supports qui contribuent pour moi grandement à la qualité de la vie.

Je vis en Beauce dans un désert médical. Pas de centre ressource en cancérologie à moins de 40 km. En ville, il faut aller à Chartres ou à Orléans pour trouver un centre d’accueil : La Ligue contre le cancer et Onco 28 sont les seuls organismes présents en Eure-et-Loir qui dispensent des soins de support gratuits. Il n’y a que les malades proches de ces villes qui en bénéficient. Quant à moi je n’ai profité de ces bienfaits qu’une fois en rémission.

Après une courte période de réflexion j’ai décidé de déployer plutôt mon énergie vers la question du rétablissement. Ce terme s’est imposé très vite à moi et il est devenu alors la raison d’être de mon projet d’ingénierie au DU. Selon la définition du Larousse se rétablir est un verbe pronominal ou réfléchi, dont l’action se rapporte au sujet lui-même : Retrouver une bonne santé : Elle s’est rétablie rapidement. Exister de nouveau : Le calme s’est rétabli.

Comment ce mot de rétablissement se définit-il pour moi ?

Pour expliquer ce terme, je désire parler de la fin des traitements et de l’effondrement qui souvent accompagne ce moment difficile. Voici comment s’est présentée cette période pour moi. A la fin de la radiothérapie de la face et de retour chez moi, je me suis retrouvée avec une forte mucite, perte du goût, frein chirurgical au niveau de la mâchoire faisant suite à l’opération qui m’empêchait d’ouvrir correctement la bouche, anorexie, épuisement, bref une perte de l’envie de vivre. J’ai demandé à la radiothérapeute oncologue si j’étais bien en rémission complète, ce mot n’ayant jamais été prononcé. Bien que toujours très à l’écoute, elle a juste acquiescé, puis changé de sujet.

Je livre ici des passages de mon carnet relatant cette période qui expriment l’état dans lequel je me trouvais :

« Réapprendre à parler, à manger, à ne pas baver. Me voici dans la peau d’un nourrisson. Je me force à manger, je me force à vivre. Charlet (mon mari) pour la première fois baisse les bras. Il ne sait plus quelles astuces déployer. Je le sens désespéré, violenté, impuissant, découragé. On dit souvent : rien est impossible. Tout est question de motivation mais ce matin je me réveille sans énergie, sans goût, sans envie. L’angoisse s’agrippe au corps. Elle ne veut plus me lâcher. Elle est venue à pas feutré, elle est restée là tapie dans mes entrailles. Elle a attendu le moment propice pour bondir comme un prédateur dans la douceur de la vie. Elle a comme une saveur de récidive. »

Je m’étais accroché à la vie malgré la maladie et maintenant qu’elle n’était plus là, la vie avait perdu tout son sens. J’étais déboussolée. C’est là qu’une consultation d’annonce au rétablissement m’aurait bien aidée à passer le cap. Cependant il y a des mots qui m’ont permis de penser ce moment et de remettre de la sève dans ma vie.

La conférence de Catherine Tourette-Turgis sur le rétablissement m’a émue et parlé droit au coeur, en particulier la première définition qu’elle en a donnée : se mettre en rémission, se reconstruire, retourner à la guérison… Dans un article de 2017 elle conclut en disant : « Ce n’est pas fini quand c’est fini » (1). En entendant et en lisant ces mots j’ai pris conscience que ce terme a été présent pour moi dès l’annonce du cancer, il m’a donné un l’espace et un horizon. Il m’a permis de rêver à un devenir ou à un futur possible. Il m’a encouragé dans l’épreuve, a mis de l’espoir dans ma vie. La rémission fait appel à la pathologie alors que le mot rétablissement concerne la personne.

Le rétablissement est un vrai travail d’équilibriste. Le collage de cet éléphant funambule réalisé pendant un stage de Soul collage en avril 2016 témoigne pour moi assez bien de cette situation. Toute la question est là : Comment nourrir ma vie plutôt que de la consacrer à lutter contre le cancer. Qu’est-ce qui m’anime ? Qu’est-ce qui m’appelle, m’inspire ? Comment contacter les élans de vie qui amènent de la joie. «Quand on est en maladie tout ne va pas si mal. Les processus de guérison continuent à exister. Tout ce qu’on va faire en terme de plaisir, de respect de soi, accentue ses processus de guérison». dit Charles Crombez, psychanalyste, psychiatre. On pourrait dire aussi que même en bonne santé, il y a aussi des processus de dégénération qui sont à l’oeuvre dans notre corps. Tout ne va pas toujours bien. Peindre, danser, méditer m’ont aidé à renaître de cette maladie. Ces activités font partie des clés de mon rétablissement et sont devenues nécessaires à mon quotidien. Différents outils de médiation sont nés de ces pratiques : Une exposition itinérante, des jeux de médiation pédagogiques, un jeu de tarot construit à partir de mes toiles, des cartes à fabriquer soi-même, pour soi, nommées les cartes de l’être. J’anime aussi des ateliers de danse méditative la Téhima pour des thérapeutes à Orléans.

Pour terminer cette réflexion, on peut dire que la notion de rétablissement qui est loin d’être simple ne peut être associée à un état considéré comme la normalité. Avec la chronicité de cette maladie ce terme se relie difficilement à la guérison. Comment l’aborder sans parler du travail du deuil qui est aussi un processus nécessaire pour avancer vers le rétablissement. Deuil de la personne que j’étais avant, deuil du traumatisme laissé par la maladie, et pourquoi pas aussi, deuil du deuil.

Le cancer nous concerne tous. En effet il n’y a pas que l’individu qui est malade, notre société l’est aussi. Cette maladie nous parle de notre modernité. Comment peut-t-on parler de rétablissement sans aborder la prévention ? D’un côté nous déployons tous nos efforts pour trouver des moyens de nous battre contre cette maladie et de l’autre nous faisons assez peu pour en conjurer les causes à notre portée. En effet, comment assumer notre part de responsabilité dans les processus qui les créent ? Je pense à la pollution de notre environnement : l’air, l’eau, les pesticides, le nucléaire, qui entretiennent des pathologies connues et en engendrent avec leurs cocktails, de nouvelles, encore inconnues. Je pense aux néonicotinoïdes fabriqués pour tuer les parasites des cultures. Ils tuent les abeilles et les insectes, les oiseaux qui les mangent, puis contaminent ensuite toute la chaîne alimentaire. Ils sont reconnus aujourd’hui dans la catégorie des cancérigènes. Ils atteignent aussi notre fertilité, notre système nerveux, notre immunité. De la « maladie à subir » ne serait-il pas mieux de passer à « la maladie à prévenir ». Comment apprendre ensemble à nous poser les bonnes questions pour retrouver le chemin d’un cercle vertueux. S’interroger sur le sens collectif de cette maladie est de la responsabilité de tous et de nos choix de vie. Elle nous propose d’ouvrir ensemble la voie du bon sens. Cette réflexion a eu aussi sa place dans ce DU de cancérologie dont je voulais vous parler.

(1) – Selon Catherine Tourette-Turgis : « Chez les survivants post-traitement à long terme, ceux qu’on devrait nommer les personnes rétablies, on observe dix ans après le diagnostic initial pour 15 à 20 % d’entre eux, anxiété, dépression, stress post-traumatique, détresse plus élevée que dans la population générale, appauvrissement, problèmes de carrière et d’emplois, peur de la récurrence, symptômes résiduels des traitements, dégradation de l’image de soi, prise de poids, problèmes de sommeil, troubles de la sexualité : bref ce n’est pas fini quand c’est fini ». In article : Se rétablir, se mettre en rémission, se reconstruire : le rétablissement comme impensé dans le parcours de soin en cancérologie – L’Harmattan, Le sujet dans la cité.

Extrait du projet d’ingénierie de Claudine Denner : « Rétablissement et identité » – DIPLÔME UNIVERSITAIRE – Mission d’accompagnement de parcours du patient en cancérologie – Année universitaire 2017-2018